JEAN-YVES MINATCHY : LA PASSION POUR SA TERRE RÉUNIONNAISE

L'histoire de l'île a généré un apport d'esclaves puis d'engagés indiens,d'abord pour la culture du café puis pour celle de la canne à sucre.Jean Yves MINATCHY est une figure de premier plan de la défense des agriculteurs de la canne.


Président de la Chambre d'Agriculture, J.Y.M est d'un dynamisme époustouflant. Il est présent parmi ses collègues dans les champs ou sur un tracteur dans son terrain agricole. Il est présent dans les réunions syndicales et professionnelles. Il assiste aux réunions préfectorales ou ministérielles. Bref, c'est un grand militant du monde agricole.

Mr Minatchy, quel est votre parcours personnel  ?

Je suis né dans une famille de colons, on était 12 enfants et j'ai grandi à Domenjod. Mon père et ma mère ont été des personnes très importantes dans ma vie, comme des dieux. Je me suis construit sur la mémoire de mes ancêtres, mes grands parents ont fait partie des engagés qui ont embarqué pour la Réunion.

D'ailleurs, ma grand mère a fait ce voyage dans des conditions difficiles où elle a perdu ses tantes. A son arrivée à la Réunion, ce fut une véritable misère, elle était constamment maltraitée par son maître et devait se soumettre à ses règles.On leur imposait leur façon de vivre et de fonctionner. C'est la foi pour leur religion qui va permettre aux malbars de garder leur fierté et leur dignité. En quittant l'Inde, mes grands-parents ont pris la peine de dissimuler des objets de culte durant leur voyage pour continuer à adorer leur dieu. En fait, je me souviens avoir fréquenté ce koîlou que ma grand mère a installé dans un endroit discret et là, je brûlais mon camphre et je m'imprégnais de la mémoire de mes aïeux. Même si je ne suis pas un fervent pratiquant par manque de temps, j'ai un profond respect pour les traditions de mes ancêtres et elles restent ancrées en moi.

Quel est votre parcours syndical ?

Ma famille a toujours été très militante. Mon père et mon grand père sont des militants du Parti Communiste Réunionnais et ont toujours soutenu Raymond Vergès.

Partout, ils le suivaient avec un brassard rouge autour du bras.J'ai gardé d'eux cet esprit combatif et je me suis investi auprès des agriculteurs après être passé moi aussi par le Parti pour lequel j'étais le responsable pour Ste Marie de 1980 à 1983. La confrontation avec les discriminations vous entraîne dans le refus de l'ordre établi.A Ste Marie, même en 1982, les petits colons que nous étions n'avaient même pas d'électricité alors qu'en face les propriétaires terriens avaient même leurs parcs à boeufs éclairés nuit et jour ! En 1995, j'étais élu Président de la Chambre d'Agriculture et puis réélu le 1er Mars 2007

Quelle est votre position sur le projet d'arrêté préfectoral réglementant les sacrifices d'animaux dans les temples ?

Ma position est claire : Je ne comprends pas ceux qui tergiversent et qui cherchent des compromis avec souvent des arrière-pensées. Toute intrusion dans le culturel est inacceptable et intolérable.La séparation entre l'Eglise et l'Etat date de 1905. Ce débat nous ramène 100 ans en arrière à l'époque où il n' y avait pas de limite entre la religion et le travail, où le curé informait les propriétaires sur la présence ou l'absence des colons à l'église. Tant de progrès ont été réalisés... Même les propriétaires de l'époque savaient qu's n'avaient pas le choix ; ils accordaient aux colons des congés en fin d'année afin que ces derniers puissent préparer et pratiquer leurs fêtes tamoules annuelles (marches sur le feu etc...)Si on enlève cette tradition, on supprime notre héritage et notre fierté et on divise notre communauté.. Notre héritage est fabuleux, les gens de toute race vivent cette tolérance de façon extraordinaire. Alors ne brisons pas cette harmonie par des mesures discriminatoires.La Réunion est un exemple pour l'Europe.Elle est "la vitrine de toutes les cultures".¨Par contre, il est important d'alerter les prêtres de l'île, il faut qu'ils soient vigilants à l'image qu'ils véhiculent de la religion via les médias. Nos cérémonies religieuses ne doivent pas être réduites à du spectacle.Nos rites sont complexes et nécessitent des explications afin de lever toute incompréhension et éviter les fausses interprêtations.

Selon certains, c'est le lobby des éleveurs professionnels de caprins qui font pression sur la préfecture pour contrôler la filière d'élevage en vue de sacrifices rituels ? Quel est votre avis? 

Il faut lier l'économie au social. A partir du moment où les conditions sanitaires sont respectées, il est hors de question de pression ou autre.Dans une économie où le taux de chômage est aussi élevé, il me semble qu'il y ait de la place pour tout le monde dans cette filière.

Avez vous des ambitions politiques ?

Je n'ai pas d'ambitions politiques. Je vais vous donner cette anecdote : Quand Mr Giscard d'Estaing a été élu,à l'époque, certains notables malbars de St Denis et de Ste Marie portaient le même costume bleu marine que lui par imitation.Je souhaite seulement qu'on garde notre dignité ; il faut rester soi- même et respecter notre façon de vivre et nos traditions.La grande force de notre communauté est d'avoir réussi à vivre ensemble avec une grande convivialité et en parfaite harmonie.

Avez vous un message pour les jeunes ?

Ce que je voudrai dire aux jeunes: "Nous devons nous recentrer sur l'héritage de nos valeurs et perdre moins de temps sur les aspects matériels ou de se concurrencer entre nous pour construire son temple plus grand et plus haut que celui de l'autre..."

Je demanderai aux jeunes de ne jamais oublier notre histoire,le vécu de nos ancêtres, c'est ainsi qu'ils avanceront et se feront respecter.


Article extrait de la revue SANGAM de Juillet 2008.