En Occident, on tombe amoureux et on se marie, schéma classique. En Inde on se marie et l’amour vient après… ou pas. C’est un peu comme un pari – un arrangement conclu par les parents, qui jouent un rôle important dans le mariage de leurs enfants, du choix des prétendants à l’organisation du mariage.
Jayalakshmi, 26 ans, originaire du Tamil Nadu (sud), n’a pas vraiment rechigné lorsque ses parents lui ont trouvé un mari. Il était pêcheur, appartenait à la même caste qu’elle, avait son propre bateau et un métier sûr. Un bon parti pour cette paysanne dont la famille possède un petit lopin de terre.
Qu’il se passe dans des milieux éduqués ou pas, pauvres ou riches, le mariage arrangé est ainsi en Inde une pratique commune. Il est vécu par la plupart des Indiens comme « un acte d’amour » conclu par la famille, qui bien évidemment saura choisir le/la meilleur(e) prétendant(e) pour assurer un bel avenir à son enfant. Mais attention, mariage arrangé ne veut pas forcément dire mariage forcé ! Chacun des prétendants pose sa « liste de souhaits » (partenaire végétarien ou non, métier, caste, attraits physiques etc.) et fait part de ses préférences. Les familles discutent ensuite entre elles et présentent leurs enfants lors d’un « rendez-vous » chez la famille de la jeune fille ou dans un endroit neutre comme un restaurant. S’ils se plaisent tant mieux, autrement ils ont le droit de refuser l’union (ce n’est pas forcément le cas dans les villages).
Le pacte conclu entre deux familles peut être comparé à un contrat entre deux entreprises où les intérêts de l’une et de l’autre sont scrupuleusement respectés. Un des éléments cruciaux de la conclusion de ce pacte est la dot, il désigne l’apport de biens de la famille de l’épouse à celle du marié. Et presque tous les mariages sont concernés, pas seulement les mariages arrangés. « La pratique est ancrée dans la culture indienne. Sur les 10 millions de mariages en moyenne qui ont lieu tous les ans en Inde, dans moins de 1% des cas les parents du marié ne réclament pas de dot », confie un journaliste indien à Mumbai.
Selon la tradition indienne, la jeune mariée habitera chez la famille de son mari – dans la plupart des cas elle arrêtera de travailler pour s’occuper de la maison, de ses beaux-parents et de ses enfants. Le montant de sa dot variera en fonction de son statut : il peut aller de 150 euros à 150 000 euros voire plus…
« Au départ, la famille de mon mari demandait beaucoup, et comme j’étais l’aînée, mes parents ont dû dépenser pour moi plus que pour mes deux autres sœurs. La dot a été négociée, nous avons donné un bout de terrain, des bijoux et payé le mariage, explique Jayalakshmi. Heureusement, ma belle-famille me traite correctement mais il y a quelques années, pour des raisons financières, nous avons décidé d’un commun accord que je devais travailler. J’ai trouvé un emploi de femme de ménage à Delhi et nous y avons emménagé avec mon mari. ».
Un fardeau
Si la dot était une pratique courante il y a quelques siècles en Europe aussi, en Inde elle a toujours un fort impact sur les mariages et sur la vie des jeunes femmes. Paradoxalement, l’Inde est le pays où l’on vénère le plus de déesses au monde mais c’est aussi un des pays où avoir une fille n’est pas toujours une bénédiction. Au contraire, la famille devra mettre de côté assez d’argent, d’or et autres biens et propriétés pour être sûre que leur fille trouve un bon prétendant.
Ce fardeau qu’est la dot est ainsi l’une des raisons majeures pour laquelle les Indiens pratiquent des foeticides sur les embryons féminins ; le ratio filles/garçons en Inde est très déséquilibré avec 914 filles pour 1 000 garçons selon le dernier recensement de 2011.
Si par malheur la dot promise n’est pas honorée, la jeune mariée pourra se retrouver piégée, prise dans un cercle vicieux où elle subira menaces et insultes de sa belle famille. Cela peut mener à des suicides ou à des meurtres, parfois déguisés en accidents domestiques.
Depuis 1961, le gouvernement a banni la pratique de la dot mais selon le ministère de l’intérieur, près de 120 000 dossiers judiciaires liés à la dot ont été enregistrés en 2014.
« Désormais, la dot n’est plus appelée dot mais ‘cadeau’, elle se manifeste par l’achat de bijoux en or, de biens électroménagers, d’une voiture etc. explique Venkatakrishna Kunduru, avocat à la Cour Suprême de Delhi. La loi est clairement inefficace. Dans la plupart des cas, lorsque la jeune femme subit les pressions de sa belle-famille, elle n’en parle pas directement. Lorsque les beaux-parents se font trop pressants, elle se tourne vers sa propre famille qui lui demande souvent d’arranger les choses. Et ce n’est que lorsque le cas devient très grave que la police intervient. Légalement il est assez difficile de trouver des preuves pour inculper quelqu’un ; ce n’est que lorsque le crime est terminé que l’on agit… ».
La plupart des familles considèrent que la dot n’est pas une mauvaise pratique puisqu’elle aidera la jeune mariée à s’installer dans sa nouvelle maison et que ces « cadeaux » lui seront utiles. « Mais dans certains cas la dot est utilisée par la famille du gendre et la jeune mariée, loin de sa famille est littéralement traitée comme une esclave dans la maison. J’ai récemment eu connaissance du cas d’une famille ayant réutilisé la dot de la femme de leur fils pour leur propre fille… Il y aussi de nombreux cas où la famille du gendre, après avoir finalisé le montant de la dot et après le mariage, en demande plus à la mariée », note l’avocat.
La menace du divorce (même si difficilement réalisable) est généralement utilisée pour obliger la mariée à donner plus, surtout dans les zones rurales où vit 60% de la population indienne. Dans un pays où le divorce est encore perçu comme une honte, la jeune mariée, dépouillée de son honneur ne pourra plus être « pure » pour un autre et devra vivre une vie recluse, sûrement bannie également par sa propre famille.
« Je pense qu’il faut mettre en place des campagnes et sensibiliser les jeunes car pour les générations précédentes c’est trop tard… la dot est un héritage attendu qui fait partie intégrante de la structure familiale indienne et de sa prospérité économique », ajoute l’avocat. La pratique n’est pas restreinte aux Indiens vivant en Inde. Ceux qui vivent à l’étranger sont également touchés ; en effet peu importe l’éducation ou l’ouverture à l’international, la dot est une pratique largement approuvée et ancrée dans les mentalités. « Quand je suis arrivée à Paris, on venait de me marier de force en Inde et mon mari travaillait dans une multinationale ici. Je me suis retrouvée totalement recluse sans contact avec ma famille. Mon mari n’était jamais là, je ne le connaissais pas puisque je ne l’avais rencontré qu’un mois avant mon mariage. Il rentrait souvent ivre et à commencé à me battre car il ne voulait pas de moi, affirmant que je ne lui apportais rien… pas assez d’argent ou de statut… Je n’avais aucun moyen de m’échapper de cet enfer », confie Deepa (nom changé) originaire du Pendjab, 45 ans. Elle est aujourd’hui mariée à un Français et mère de deux enfants. Ce n’est qu’un an après son arrivée en France que l’association de protection des femmes Indian Women Friendship l’a enfin recueillie et aidée grâce à l’action d’autres femmes indiennes expatriées en France.
La jeune mariée est ainsi très souvent considérée comme une vache-à-lait par sa nouvelle famille ; telle la déesse hindoue Lakshmi, elle est censée être la garante de la prospérité du foyer… Une prospérité symbolisée par des bien matériels. Les effets pervers de la dot ne sont malheureusement pas près de s’estomper… Selon le Bureau national des crimes (National Crime Register Bureau), l’année 2014 a vu a elle seule 8 455 décès liés à la dot, soit 30 femmes qui meurent tous les jours…
Jayalakshmi, 26 ans, originaire du Tamil Nadu (sud), n’a pas vraiment rechigné lorsque ses parents lui ont trouvé un mari. Il était pêcheur, appartenait à la même caste qu’elle, avait son propre bateau et un métier sûr. Un bon parti pour cette paysanne dont la famille possède un petit lopin de terre.
Qu’il se passe dans des milieux éduqués ou pas, pauvres ou riches, le mariage arrangé est ainsi en Inde une pratique commune. Il est vécu par la plupart des Indiens comme « un acte d’amour » conclu par la famille, qui bien évidemment saura choisir le/la meilleur(e) prétendant(e) pour assurer un bel avenir à son enfant. Mais attention, mariage arrangé ne veut pas forcément dire mariage forcé ! Chacun des prétendants pose sa « liste de souhaits » (partenaire végétarien ou non, métier, caste, attraits physiques etc.) et fait part de ses préférences. Les familles discutent ensuite entre elles et présentent leurs enfants lors d’un « rendez-vous » chez la famille de la jeune fille ou dans un endroit neutre comme un restaurant. S’ils se plaisent tant mieux, autrement ils ont le droit de refuser l’union (ce n’est pas forcément le cas dans les villages).
Le pacte conclu entre deux familles peut être comparé à un contrat entre deux entreprises où les intérêts de l’une et de l’autre sont scrupuleusement respectés. Un des éléments cruciaux de la conclusion de ce pacte est la dot, il désigne l’apport de biens de la famille de l’épouse à celle du marié. Et presque tous les mariages sont concernés, pas seulement les mariages arrangés. « La pratique est ancrée dans la culture indienne. Sur les 10 millions de mariages en moyenne qui ont lieu tous les ans en Inde, dans moins de 1% des cas les parents du marié ne réclament pas de dot », confie un journaliste indien à Mumbai.
Selon la tradition indienne, la jeune mariée habitera chez la famille de son mari – dans la plupart des cas elle arrêtera de travailler pour s’occuper de la maison, de ses beaux-parents et de ses enfants. Le montant de sa dot variera en fonction de son statut : il peut aller de 150 euros à 150 000 euros voire plus…
« Au départ, la famille de mon mari demandait beaucoup, et comme j’étais l’aînée, mes parents ont dû dépenser pour moi plus que pour mes deux autres sœurs. La dot a été négociée, nous avons donné un bout de terrain, des bijoux et payé le mariage, explique Jayalakshmi. Heureusement, ma belle-famille me traite correctement mais il y a quelques années, pour des raisons financières, nous avons décidé d’un commun accord que je devais travailler. J’ai trouvé un emploi de femme de ménage à Delhi et nous y avons emménagé avec mon mari. ».
Un fardeau
Si la dot était une pratique courante il y a quelques siècles en Europe aussi, en Inde elle a toujours un fort impact sur les mariages et sur la vie des jeunes femmes. Paradoxalement, l’Inde est le pays où l’on vénère le plus de déesses au monde mais c’est aussi un des pays où avoir une fille n’est pas toujours une bénédiction. Au contraire, la famille devra mettre de côté assez d’argent, d’or et autres biens et propriétés pour être sûre que leur fille trouve un bon prétendant.
Ce fardeau qu’est la dot est ainsi l’une des raisons majeures pour laquelle les Indiens pratiquent des foeticides sur les embryons féminins ; le ratio filles/garçons en Inde est très déséquilibré avec 914 filles pour 1 000 garçons selon le dernier recensement de 2011.
Si par malheur la dot promise n’est pas honorée, la jeune mariée pourra se retrouver piégée, prise dans un cercle vicieux où elle subira menaces et insultes de sa belle famille. Cela peut mener à des suicides ou à des meurtres, parfois déguisés en accidents domestiques.
Depuis 1961, le gouvernement a banni la pratique de la dot mais selon le ministère de l’intérieur, près de 120 000 dossiers judiciaires liés à la dot ont été enregistrés en 2014.
« Désormais, la dot n’est plus appelée dot mais ‘cadeau’, elle se manifeste par l’achat de bijoux en or, de biens électroménagers, d’une voiture etc. explique Venkatakrishna Kunduru, avocat à la Cour Suprême de Delhi. La loi est clairement inefficace. Dans la plupart des cas, lorsque la jeune femme subit les pressions de sa belle-famille, elle n’en parle pas directement. Lorsque les beaux-parents se font trop pressants, elle se tourne vers sa propre famille qui lui demande souvent d’arranger les choses. Et ce n’est que lorsque le cas devient très grave que la police intervient. Légalement il est assez difficile de trouver des preuves pour inculper quelqu’un ; ce n’est que lorsque le crime est terminé que l’on agit… ».
La plupart des familles considèrent que la dot n’est pas une mauvaise pratique puisqu’elle aidera la jeune mariée à s’installer dans sa nouvelle maison et que ces « cadeaux » lui seront utiles. « Mais dans certains cas la dot est utilisée par la famille du gendre et la jeune mariée, loin de sa famille est littéralement traitée comme une esclave dans la maison. J’ai récemment eu connaissance du cas d’une famille ayant réutilisé la dot de la femme de leur fils pour leur propre fille… Il y aussi de nombreux cas où la famille du gendre, après avoir finalisé le montant de la dot et après le mariage, en demande plus à la mariée », note l’avocat.
La menace du divorce (même si difficilement réalisable) est généralement utilisée pour obliger la mariée à donner plus, surtout dans les zones rurales où vit 60% de la population indienne. Dans un pays où le divorce est encore perçu comme une honte, la jeune mariée, dépouillée de son honneur ne pourra plus être « pure » pour un autre et devra vivre une vie recluse, sûrement bannie également par sa propre famille.
« Je pense qu’il faut mettre en place des campagnes et sensibiliser les jeunes car pour les générations précédentes c’est trop tard… la dot est un héritage attendu qui fait partie intégrante de la structure familiale indienne et de sa prospérité économique », ajoute l’avocat. La pratique n’est pas restreinte aux Indiens vivant en Inde. Ceux qui vivent à l’étranger sont également touchés ; en effet peu importe l’éducation ou l’ouverture à l’international, la dot est une pratique largement approuvée et ancrée dans les mentalités. « Quand je suis arrivée à Paris, on venait de me marier de force en Inde et mon mari travaillait dans une multinationale ici. Je me suis retrouvée totalement recluse sans contact avec ma famille. Mon mari n’était jamais là, je ne le connaissais pas puisque je ne l’avais rencontré qu’un mois avant mon mariage. Il rentrait souvent ivre et à commencé à me battre car il ne voulait pas de moi, affirmant que je ne lui apportais rien… pas assez d’argent ou de statut… Je n’avais aucun moyen de m’échapper de cet enfer », confie Deepa (nom changé) originaire du Pendjab, 45 ans. Elle est aujourd’hui mariée à un Français et mère de deux enfants. Ce n’est qu’un an après son arrivée en France que l’association de protection des femmes Indian Women Friendship l’a enfin recueillie et aidée grâce à l’action d’autres femmes indiennes expatriées en France.
La jeune mariée est ainsi très souvent considérée comme une vache-à-lait par sa nouvelle famille ; telle la déesse hindoue Lakshmi, elle est censée être la garante de la prospérité du foyer… Une prospérité symbolisée par des bien matériels. Les effets pervers de la dot ne sont malheureusement pas près de s’estomper… Selon le Bureau national des crimes (National Crime Register Bureau), l’année 2014 a vu a elle seule 8 455 décès liés à la dot, soit 30 femmes qui meurent tous les jours…