Le cinéma indien : au-delà du strass et des paillettes

Le cinéma indien va bien au-delà des clichés de « Bollywood ». Les grosses productions aux scénarios rocambolesques restent le choix préféré de la majorité des Indiens mais un cinéma plus épuré, indépendant et artistique, s’est aussi développé parallèlement. Aujourd’hui, les deux genres semblent fusionner et le résultat est plus qu’intéressant.


Dans une salle de cinéma en Inde, les gens rient, pleurent et dansent sur les répliques de leurs héros. Beaux, musclés et clairs de peau.
Dans une salle de cinéma en Inde, les gens rient, pleurent et dansent sur les répliques de leurs héros. Beaux, musclés et clairs de peau.
A Chennai, où le dernier film de Rajinikanth vient de sortir, une foule se presse ; certains attendent depuis l’aube pour voir leur star à l’écran. A Mumbai, pour le dernier film de Shah Rukh Khan, même effervescence devant les multiplexes. Dans la salle, les gens rient, hurlent, applaudissent et dansent sur les répliques de leurs héros. Peu importe son niveau social, lorsqu’un Indien va au cinéma, c’est avant tout pour se perdre dans un nouveau monde et oublier les tracas de son quotidien.

On se souvient aussi de la scène de « Slumdog Millionnaire » de Danny Boyle (2008) – un des rares films sur l’Inde diffusé dans les cinémas européens – lorsque le jeune Jamal Malik, vivant dans les bidonvilles de Juhu à Mumbai, exprime son immense joie de rencontrer son idole, le célèbre acteur de Bollywood Amitabh Bachchan, et a même le privilège de recevoir un autographe. Plus récemment, dans un registre plus sombre, « Fan » (2016), avec Shah Rukh Khan (diffusé dans les salles Gaumont Pathé en France), raconte la vie d’un jeune Indien dont la ressemblance avec le ‘King Khan’ le fera devenir son plus grand fan. Il en fera son modèle, son dieu.

Les stars de cinéma en Inde sont en effet de véritables dieux vivants. Ce sont des modèles à suivre pour ce qu’ils font, ce qu’ils portent, ce qu’ils mangent, ou la voiture qu’ils conduisent… L’industrie de la publicité a vite tiré profit de cette engouement et la plupart des pubs en Inde mettent en scène une star vantant les bienfaits de tel ou tel produit, que ce soit une lessive, des chips, une boisson, ou encore une crème éclaircissante…

En parlant de crème éclaircissante, la blancheur, voici un autre critère prôné par le cinéma indien plus « commercial ». Pour devenir une star, il faut être beau, musclé, avoir l’air jeune (même passé la quarantaine) et être clair de peau (surtout les femmes). Certaines actrices néanmoins, se sont révoltées contre ces critères « racistes », notamment Nandita Das, devenue célèbre grâce aux films « Fire » (1996), dans lequel elle incarne une homosexuelle, et « Earth » (1998) sur la sanglante partition entre l’Inde et le Pakistan. L’actrice est devenue l’égérie de la campagne « Dark is beautiful » (Le noir est beau) qui dénonce les discriminations à l’égard de ceux qui sont « plus foncés ». « D’un côté, en Inde, il y a une telle obsession de la blancheur que ma couleur de peau m’a clairement servie. On m’a proposé de faire une publicité pour une crème blanchissante. J’ai refusé, parce que c’était ridicule ! D’un autre côté, je n’ai pas du tout le look d’une héroïne indienne. Au début, je ne jouais que des rôles risqués. Prostituée, droguée… Au bout d’un moment, il a fallu que je me force à refuser des rôles », explique pour sa part Kalki Koechlin, une actrice française née en Inde et devenue célèbre à Bollywood.

L’autre particularité du cinéma indien populaire est son grand appétit pour les scènes de chants et de danse. En Inde, les « vrais » chanteurs sont finalement méconnus ; ce sont plutôt les acteurs se trémoussant et interprétant leurs chansons en playback qui récoltent le succès… A la télévision indienne, les chaînes musicales enchaînent principalement les clips de films ; les clips de chanteurs « classiques » qui font la promotion de leur disque sont quant à eux plus rares… L’industrie du cinéma influe ainsi sur toutes les industries du divertissement, et notamment celle de la musique.

Un extrait de « Slumdog Millionnaire » (2008)
Un extrait de « Slumdog Millionnaire » (2008)
Beaucoup de films… et de piratage

Vu d’Occident, le cinéma indien revêt une image superficielle, avec ses scénarios très manichéens. Ce sont des films à rallonge, des drames familiaux et d’amour impossible, des acteurs qui chantent et dansent frénétiquement et des scènes de combat ou de course-poursuite surréalistes…

Malgré cela, des millions d’Indiens, une gigantesque diaspora à travers le monde et une importante population en Afrique et au Moyen Orient sont tout particulièrement conquis par ce genre commercial. Avec près de 2500 films produits tous les ans, l’Inde représente la principale industrie cinématographique du monde. Ses revenus, estimés à près de deux milliards de dollars en 2015, sont toutefois minimes comparés à ceux du cinéma aux Etats-Unis par exemple.

Parmi les défis majeurs auxquels fait face l’industrie cinématographique indienne : le manque de diffusion, d’infrastructures (cinémas et multiplexes) et par conséquent de présence sur grand écran, avec tout juste une salle de cinéma pour 95 000 habitants. L’autre souci majeur reste le piratage. Il est en effet très facile de se procurer les DVDs piratés des derniers films en Inde, et même à l’étranger, dans le quartier indiende la Chapelle à Paris, par exemple, ou de télécharger les films piratés sur internet… Selon le WIPO Magazine (le journal de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle), l’industrie du film en Inde perdrait jusqu’à 3.34 milliards de dollars par an à cause du piratage.

Sur ces milliers de films produits, on trouve de tout : des comédies, des drames, des films d’animations et des films plus réalistes. Outre Bollywood (en hindi), un grand nombre de films sont produits dans les différents Etats de l’Inde, en tamoul, malayalam, telugu et kannada (Sud), bengali (Est), punjabi et bhojpuri (Nord), marathi (Centre) etc. « Le cinéma régional est beaucoup plus créatif. Il reflète la diversité de nos modes de vie, de nos cultures et chacun de ces cinémas, kerali, tamoul, bengali, etc. utilise des médias différents pour s’exprimer. Le cinéma indépendant est fort et bien vivant en Inde », estime Bina Paul, une référence dans le domaine de la programmation cinématographique en Inde. Chaque cinéma a sa spécificité. Prenons par exemple le cinéma du Sud de l’Inde et son côté « chahuteur ». Sa figure emblématique est notamment le charismatique Rajinikanth, ancien conducteur de bus, devenu célèbre grâce à son jeu de scène et son style très particuliers.

L’année 2013 a marqué le centenaire du cinéma indien, qui a connu ses débuts en 1913, avec la première projection de « Raja Harishchandra » à Mumbai, une adaptation de contes mythologiques indiens, réalisée par Dhundiraj Govind Phalke, considéré comme le père du cinéma indien. A cette époque, les rôles féminins étaient joués par des hommes et les sujets traitaient principalement de religion, le cinéma jouant ainsi déjà un rôle « moralisateur ». Depuis, les choses ont bien changé, désormais les Indiennes se déhanchent en tenues sexy sur des chansons rythmées et les sujets, quant à eux, sont plus diversifiés.

Bollywood brises ses « codes »

On parle désormais plus facilement des problèmes sociaux, de politique et de corruption (« Gangs of Wasseypur », 2012), de relations amoureuses encore taboues et de castes (« Masaan », 2015, un film coproduit par la France) ou encore d’adultère et d’homosexualité (« Kapoor and Sons », 2016).

Des sujets abordés par des films à petit budget mais aussi par de grosses productions commerciales. Ces dernières mettent en vedette des héros et héroïnes de Bollywood, qui n’ont plus peur de casser leur image de perfection. Bollywood se positionne ainsi à la croisée des deux genres, avec des scènes réalistes de la vie quotidienne, toujours des chants et des danses, – mais qui restent dans le contexte du film, – et de l’humour, tout en introduisant des sujets tabous. De son côté, le cinéma indépendant, ou  plus « arty », continue aussi de produire des films à succès. Parmi ses célèbres réalisateurs, le bengali Satyajit Ray, le tamoul Mani Ratnam ou l’artistique Kumar Sahani.

Le cinéma régional est aussi porteur de nouveaux talents comme Shanawaz NK, jeune réalisateur issu d’un petit village, qui évoque notamment les défis pour financer et commercialiser et diffuser un film en Inde (lire l’article). « Mon film, ‘Candyflip’, est vraiment indépendant. Il a été fait par des gens qui ne sont pas issus de Bollywood. Mais cela pourra aussi jouer en sa défaveur… Il pourra certainement atteindre les festivals, mais pas forcément les Indiens. A moins que quelqu’un investisse des millions.. En fait, ma définition du cinéma indépendant en Inde est que c’est une illusion », explique Shanawaz NK. Une solution pour financer de tels films pourrait être le « crowdfunding », utilisant les moyens technologiques modernes sur internet pour générer divers dons.

Le public indien adhère-t-il à ce cinéma indépendant ? « Bollywood ne produit que quelques films vraiment réalistes et les petites productions n’ont pas assez d’argent pour être commercialisées et promues dans toute l’Inde. Un film comme ‘Masaan’ par exemple, primé à Cannes, et traitant du sujet des castes qui touche toute la population indienne, ne sera sans doute jamais diffusé dans les villages indiens… », explique Gabrièle Brennen, réalisatrice-productrice française et experte du cinéma indien. Donc, oui, les Indiens aiment certainement les strass et paillettes et leurs héros, mais ils pourraient aussi peut-être aimer davantage ce cinéma indépendant, s’il y avaient accès plus facilement.




        

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